Littérature – Coup de cœur, Premier combat. (4bis/52 livres)

Cet article sonne comme un écho à la lettre publiée sur le blog de Faustine. Dans celle-ci, j’évoquais Jean Moulin au lendemain d’un bouleversant reportage sur le héros de la Résistance Française. J’avais d’ailleurs cité  à l’occasion, ce livre, « Premier combat », récit de la main de Jean Moulin sur les quelques jours de juin 1940 à Chartres. Jean Moulin devenu mythe, symbole, visage universel de la Seconde guerre mondiale semble parfois bien inaccessible pour nous autres. Et que dire du discours de Malraux, lui ayant fait atteindre définitivement des étoiles bien trop hautes pour nos petits yeux.

Mais, il existe des petits miracles. Ce livre, nous le devons à Jean Moulin lui-même, à travers sa sœur Laure, à qui il a confié le récit manuscrit de ces jours de juin, si terribles et pourtant déjà à l’image de son courage. Nous est donc parvenu, la plume du Préfet de l’Eure-et-Loir, les mots qu’il a choisi, les évènements qu’il souhaite transmettre, qu’il a vu et vécu de tout son être. Un préfet arrivé à Chartres en février 1939, en train de devenir notre Jean Moulin.

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Premier combat, Jean Moulin (Julie G.)

Ce journal daté, repéré par les heures, raconté à la première personne nous plonge en 1940. C’est à la fois palpitant, tant les évènements sont nombreux pour un si court laps de temps, mais aussi intimidant tant nous souhaitons rester discrètement derrière lui. On vit l’histoire, pardon, l’Histoire. Parfois les responsabilités du fonctionnaire semblent venir se poser sur nos épaules de simple lecteur, nous voilà pris dans le récit définitivement happé par le cheminement vers le fatal instant. La fuite des civils, le manque de presque tout, les bombardements, les pillages, les réfugiés … l’arrivée inévitablement des allemands qu’on sent monter sur les chemins menant à Chartres. Tout est vécu de l’intérieur et on sait que c’est vrai.

Au milieu des épreuves, quelques éclats de lumière doivent toucher notre auteur, qui souligne régulièrement l’aide, le courage et la détermination de ceux qui restent à ces côtés dans un monde en fuite. Il salue souvent le dévouement qu’un humain trouve en lui pour venir au secours de l’humanité.

Les allemands entrent dans Chartres, lui accompagné de deux soutiens, se tient droit dans la cours de la Préfecture, face au drapeau de la France. Il les attend, dans son devoir qui déjà l’a fait rester à Chartres quand les ordres disent de fuir. Je ne sais pas ce qu’il pouvait avoir réellement à l’esprit, le récit d’évènements ne donne pas toujours la pensée des hommes, mais j’ai déjà peur pour lui, connaissant la suite à l’avance. Peut-être est-ce dans ces instants d’attente qu’est véritablement né notre Jean Moulin. La confrontation avec les allemands passant sous nos yeux sous forme de lignes résume 7 heures de tortures, par les coups, l’écrasement moral, … Pourtant, même si on le lit, on ne peut s’imaginer … Pudiquement Jean Moulin ne précise pas les détails, il évoque, dit sans fioritures mais ne dessine pas minutieusement les traits de ses douleurs. 7 heures pour une signature devant déshonorer l’armée française. Hors de question. Il tient. On le jette dans une pièce, quelque part dans Chartres, il est au côté d’un soldat sénégalais fait prisonnier.

« Pendant sept heures j’ai été mis à la torture physiquement et moralement. Je sais qu’aujourd’hui je suis allé jusqu’à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer. »

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Extrait (Julie G.)

Il doute.

Le choix s’impose peu à peu, comme il le dit lui-même : « signer ou disparaitre ». C’est là, le choix terrible à faire, et Jean Moulin dans une pièce plongée dans l’obscurité, se saisit d’un débris de verre, l’approche à lui et tente de se trancher la gorge. Il échoue, et le lendemain l’affaire est tournée à l’avantage d’une incompréhension. Jean Moulin est soigné par des proches étant restés avec lui dans la ville. Après cela, on dit que la représentation qu’on diffuse de lui, écharpe au cou, dissimule cette cicatrice d’un premier acte de résistance. Notre auteur finira par être mis en disponibilité, au profit sans doute d’un préfet plus enclin à la collaboration.

Le livre se termine sur ces évènements. Nous avons suivi seulement quelques jours de juin, et pourtant si riches d’évènements, de drames. Il suffit de peu de choses pour basculer un quotidien dans une bataille éprouvante. C’est là toute la particularité de la vie, entre caresses et claques. Ce livre lui, au-delà du contexte de la guerre, nous interroge sur la manière dont nous pouvons réagir à ces caresses ou ces claques inévitables.

Dans une lettre adressée à sa mère et sa sœur le 15 juin 1940, Jean Moulin semble lucide sur le contexte, sur ce voile noir recouvrant peu à peu la France, il sait déjà qu’il aura peut-être des horreurs à faire …

« P.S. – Si les Allemands – ils sont capables de tout – me faisaient dire des choses contraires à l’honneur, vous savez déjà que cela n’est pas vrai. »

C’est effectivement ce qui lui sera ordonné de faire deux jours plus tard, le 17 juin 1940, et qui lui vaudra 7 heures de torture et une tentative de silence.

Premier combat, Jean Moulin, éditions de minuit (11,50€)

Julie G.


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